• 02 Souvenir de Jérémie/Envie de Jérémie pendant les cours.

    03 Souvenir de Jérémie
    (3 septembre 1998, le jour où tout a commencé : 3 ans avant « première révision »).

    C’est le premier jour du lycée. Je ne le sais pas encore, mais cette journée va me marquer à tout jamais.
    Ce qui m’a d’abord marqué ce jour-là, c’est le t-shirt jaune vif que maman m’avait obligé à porter, un t-shirt informe, de trois tailles trop grand par rapport à mon physique de crevette de l’époque.
    Je n’aimais pas ce t-shirt, pas du tout. Et surtout, je ne voulais pas le porter pour mon premier jour de lycée. J’avais le sentiment que la première impression que je donnerais dans cette nouvelle communauté contribuerait de façon assez définitive à façonner mon image et mon statut, une image et un statut que je me traînerais pendant trois longues années. Je ne voulais surtout pas qu’on commence à se moquer de moi dès le premier jour, je ne voulais pas revivre ce que j’avais vécu au collège.
    Hélas, maman n’avait pas voulu entendre raison.
    Ainsi, c’est avec un peu d’appréhension, le regard un peu perdu, comme un lionceau qui foule pour la première fois la poussière de la savane, méfiant, sur ses gardes, que je m’approche de l’établissement dans lequel je vais passer les trois prochaines années de ma vie.
    A cet instant précis, à l’approche de mes 16 ans, je ne sais pas encore qu’un compte à rebours est en marche dans mon destin et qu’il est très très très proche du point zéro. Dans une poignée de secondes, une rencontre va complètement bouleverser ma vie.
    Lorsque je rentre dans la cour du lycée, je laisse instinctivement mon regard balayer ce grand espace inconnu.
    C’est là que je le remarque, instantanément. C’est comme un coup de poing dans le ventre que je n’avais pas vu venir et qui manque de me mettre KO.
    Brun, peau mate, un t-shirt noir posé comme un gant sur un torse déjà prometteur malgré son très jeune âge, une chaînette négligemment posée sur le coton, un jeans bien coupé, des baskets de marque. Et une casquette, noire elle aussi, posée à l’envers sur ses cheveux bruns.
    Le bogoss est là, au beau milieu de cet espace ouvert, en train de discuter et de déconner avec d’autres garçons. Et sur son beau visage il y a ce sourire, ce sourire de dingue qui semble illuminer non seulement toute la cour du lycée, mais la vie toute entière, ma vie toute entière.
    Je bugge, je suis tétanisé : ça fait depuis un certain temps déjà que j’ai compris que je ne suis pas vraiment attiré par les filles, ça fait un certain temps déjà que certains mecs me font vibrer. C’était le cas dans mon ancien collège, c’est souvent le cas dans la rue, ou bien à la télé ou au cinéma (qu’est ce que je kiffe, à cette époque, en 2001, Colin Farrel, Mark Whalhberg, Matt Dillon, Josh Harnett, ou encore Ben Affleck, ainsi que son pote Matt Damon). Oui, ça fait un certain temps que je tente de percer le mystère fascinant de la beauté masculine, sans pourtant arriver à me dire que je suis gay. Mais jamais encore de ma vie je n’ai vu un garçon aussi beau.
    Dès l’instant où mon regard s’est posé sur ce mec, tout a disparu autour de moi. La cour du lycée s’est vidée d’un coup, le bruit des conversations a été remplacé par un silence total dans lequel je n’entendais plus que les battements de mon cœur et ma respiration saccadée. Tout semblait se dérouler au ralenti, le temps d’une seconde, infinie.
    A cet instant précis, je ne vois que lui. Car ce mec, pourtant si jeune, dégage une sexytude ravageuse. Chaque seconde passée à le regarder, c’est un coup de poing dans le ventre, une gifle dans la figure, un truc de fou.
    J’ai dû rester planté un long moment à le mater, la gorge nouée, la respiration bloquée, mes jambes incapables de faire le moindre pas, mon cerveau inapte à considérer quoi que ce soit en dehors de l’attraction débordante que je ressentais pour ce garçon, du désir de tout connaître de sa vie, de savoir qui il était, comment il s’appelait, dans quelle classe il pouvait bien être, qui étaient ses potes, ces chanceux qui le côtoyaient tous les jours, où il habitait, s’il avait une copine…
    Chaque fibre de mon corps s’était réveillée à cet instant précis, et criait une envie irrépressible de serrer ce garçon contre moi. Ma peau réclamait sa peau, mes lèvres les siennes.
    J’ai eu envie de lui dès le premier instant, une envie furieuse, à en avoir mal au ventre. Je l’ai tellement maté qu’à un certain moment nos regards s’étaient croisés. Et, pendant quelques secondes, son regard avait accroché le mien. Il m’avait vu. Ou, du moins, il avait capté que je le matais. Mon cœur avait été sur le point d’exploser.
    Mais très vite, le bonheur de découvrir ce regard très brun, charmant comme ce n’est pas permis, a laissé la place à la peur : la peur qu’il comprenne que je le matais, qu’il comprenne que je le kiffais, que j’avais envie de lui. Et qu’il vienne me mettre son poing dans la gueule. Alors, j’ai baissé mon regard, je me suis accroupi et j’ai ouvert mon sac à la hâte, les mains tremblantes, style « je cherche un truc »,juste pour créer une diversion.
    Un instant plus tard, on nous appelait pour rejoindre nos classes respectives. Lorsque j’ai enfin osé relever les yeux, le bobrun discutait toujours avec ses potes.
    La suite de cette journée, je pourrais la raconter dans les moindres détails, tant elle est gravée dans ma mémoire.
    Je me dirige vers ma classe et je suis obligé de le quitter des yeux. Je me demande quand est-ce que je le reverrai. Sans doute à la récré : ça va être long…
    Je m’installe dans la classe parmi les premiers, je regarde les autres camarades prendre place petit à petit, en essayant de définir lesquels pourraient devenir mes potes. C’est un tri silencieux qui ne donne pas de grands résultats pour l’instant.
    Quant à l’autre tri, celui sur les critères physiques, là non plus ça ne donne pas grand-chose : à 15-16 ans, c’est encore rare de trouver des garçons vraiment attirants. Il faut attendre encore quelques années pour que la musculature s’installe et que le garçonnet laisse entrevoir le jeune mâle.
    Comment j’aimerais être dans la même classe que le bobrun au t-shirt noir ! Il doit être en terminale, il fait tellement mec !Ça, c’est ce que je me disais juste avant.
    Juste avant que le beau brun au t-shirt noir ne passe la porte de la classe en rigolant avec deux potes, avec son sac à dos rouge et blanc, avec son air de parfait branleur, de lycéen en mode touriste. Et avec sa putain de casquette à l’envers…
    Il n’est pas difficile d’imaginer ma surprise et mon excitation de le voir débouler dans « ma » classe, alors que cette possibilité ne m’avait même pas effleuré l’esprit.
    Le bogoss passe à côté de moi, sa hanche percute mon coude, premier contact physique. J’entends un « Excuse » lancé à la hâte, premier contact avec sa voix. Je me retourne, je le regarde s’installer avec ses deux potes bien au fond de la classe.
    Ce mec n’est pas seulement beau : le regarder, c’est se brûler les rétines.
    Un instant plus tôt, je n’avais même pas osé espérer qu’il soit dans la même classe que moi, j’avais commencé à jalouser les camarades qui le côtoieraient chaque journée de cours pendant les trois prochaines années. J’avais pressenti la torture que ce serait de passer les trois prochaines années à espérer le croiser dans les couloirs ou dans la cour de récré, sans même la certitude de le voir tous les jours.
    Et maintenant qu’il est là, à quelques mètres de moi, je pressens une autre torture, celle que je vais endurer chaque jour pendant les trois prochaines années. Comment côtoyer un mec aussi attirant sans péter un plomb ? Comment supporter la déchirure qui prend aux tripes, entre la brûlante envie de lui et le fait de le savoir inaccessible, de devoir cacher ce que je ressens chaque jour, chaque heure, chaque instant ? Et je n’ose même pas imaginer ce que ça va être pendant le cours de sport, dans les vestiaires…
    Le prof arrive, l’appel commence. Prénom, nom, date de naissance : que de bonnes nouvelles en perspective.
    J’écoute attentivement la succession de prénoms, de noms et de dates, en guettant fébrilement le moment où le beau brun répondra présent.
    L’appel avance, par ordre alphabétique, le prof arrive aux noms en « P »… une bonne partie des camarades a déjà levé la main ; mon tour arrive aussi : Nico S., né le 15 septembre 1982, présent !
    L’appel continue avec deux noms de famille suivis de prénoms féminins. Puis, un nom en « T » sort des lèvres du prof, Tommasi, suivi d’un beau prénom masculin : Jérémie. Le prof annonce enfin une date qui résonne en moi avec l’importance des codes de l’arme nucléaire : le 16 octobre 1981.
    « Me voilà, monsieur…» je l’entends répondre, sur un ton taquin et insolent. Je reconnais sa voix. Déjà je reconnais sa voix, après avoir juste entendu un simple « Excuse » quelques minutes plus tôt. Je me retourne, tout comme d’autres élèves, pour regarder ce petit clown qui se fait remarquer dès le premier jour.
    Jérémie, joli prénom qui lui va à merveille, je trouve. Tommasi, un nom de famille qui sonne d’ailleurs : et ça en rajoute encore au charme.
    1981, ainsi le bogoss a un an de plus que moi : et ça en rajoute encore et encore au charme. Je me dis qu’il doit redoubler, ce qui semble raccord avec le côté branleur qu’il dégage de façon effrontée, ainsi qu’avec le coté insolent qu’il vient de montrer en répondant à l’appel.
    Pendant que le prof donne l’emploi du temps, j’entends rigoler au fond de la classe. Je me retourne un peu, juste ce qu’il faut pour capter le bogoss du coin de l’œil, pour le voir en train de se marrer avec ses potes.
    « On se calme, on se calme…» fait le prof à un moment « Monsieur Tommasi, s’il vous plaît…dois-je vous rappeler que vous êtes ici parce qu’un autre lycée ne veut plus de vous…faisons en sorte que l’expérience ne se renouvelle pas…».
    « D’accord monsieur…» fait-il sur un ton railleur.
    « Commencez déjà par ôter votre casquette pendant les cours. Et à partir de demain, je voudrais vous voir plus proche de mon bureau que du radiateur… ».
    « D’accord monsieur…» répète le bogoss sur le même ton, le regard taquin et malicieux, tout en ôtant sa casquette et en dévoilant sa belle crinière brune. Ce qui le rend, évidemment, sexy en diable. Toutes les nanas le regardent. Moi aussi je le regarde, incapable de me retourner vers le prof, conquis par un charme qui ne me lâchera plus jamais.
    Premier jour du lycée, première branlette en rentrant à la maison en pensant à ce mec si beau qui a provoqué ce truc si violent en moi, balayant d’un seul sourire tous mes doutes et toutes mes tergiversations au sujet de mon attirance vis-à-vis des garçons.
    Car lorsqu’on éprouve une attirance si violente pour un garçon, lorsqu’on ne peut plus détacher les yeux de lui, lorsque le simple fait de le regarder donne à la fois le plus exquis des plaisirs et la plus brûlante des frustrations, lorsqu’en le regardant on a envie de pleurer et de hurler, lorsqu’on est à ce point persuadé que son propre bonheur serait dans ses bras et dans ses draps : voilà, c’est à ce moment-là que l’on comprend qu’on est définitivement gay et qu’on ne pourra jamais rien y faire. Car c’est tout simplement ce que l’on est, et notre chemin vers le bonheur nous amène vers les garçons.
    Mais comment distinguer le désir inspiré par un garçon et l’amour véritable qu’on lui porte ? Comment faire la différence, alors que le désir, et à fortiori son assouvissement, le plaisir, brouillent l’esprit?
    Moi je crois que lorsque le désir physique pour un garçon s’accompagne à l’envie de tout connaître de son existence, à l’envie de le câliner, de mélanger son propre souffle avec le sien, de se perdre en lui, d’être là pour lui, de passer chaque instant de sa vie avec lui, dans ses bras, c’est que ce qui nous lie à ce gars va bien au-delà de l’attirance. Est-ce que c’est ça, être amoureux ? Si c’est ça, je l’ai été depuis la première milliseconde où son image a traversé ma rétine.
    Oui, il y a eu un avant et un après ce lundi 3 septembre 1998. Avant, il n’existait pas pour moi. Après, j’étais fou de lui.
    Une folie qui s’embrasera définitivement le lendemain lorsque, en classe, il viendra me serrer la main, chose qu’il ne fera pas souvent par la suite.
    « Nico, c’est ça ? ».
    Putain ! Il avait retenu mon prénom, dès le premier jour !
    Oui, c’est sapé avec un t-shirt jaune informe que j’avais vécu mon premier jour de lycée.
    Fort heureusement, un beau jeune garçon brun m’avait fait tout oublier, y compris mon t-shirt : car mon cœur avait commencé à battre pour autre chose que pour me maintenir en vie.
     
    04 Envie de Jérémie pendant les cours
    Jeudi 3 mai 2001

    Le lendemain de ce premier après-midi de baise avec le beau Jérémie, je me rends en cours très impatient de le revoir et surtout de tenter de savoir s’il a envie de recommencer.
    Oui, je suis impatient, mais aussi un peu dérouté.
    Le bogoss a bien précisé que je devais rester discret, que personne ne devait savoir, sous peine de me faire défoncer la gueule.
    Alors, quelle attitude adopter ? Comment me comporter avec lui après ce qui s’est passé ? Faire comme si de rien n’était ? L’éviter ? Attendre et voir d’abord son comportement à mon égard ? Comment savoir s’il a envie de recommencer ?
    Guidé par la profonde naïveté qui était la mienne à cette époque, je me dis que cette bien sympathique « révision » pourrait nous rapprocher, qu’une sorte de complicité pourrait prendre la place de la distance qu’il m’a montrée jusque-là.
    Oui, j’étais un jeune garçon rêveur, dérivant au milieu de son plus beau rêve. Et je rêvais les yeux ouverts.
    Dès mon arrivée au lycée, je balaie de mon regard fébrile l’espace autour de moi, le cœur qui bat à mille à l’heure, impatient de capter sa plastique de fou.
    Je le retrouve à sa place habituelle dans la cour, à côté des scooters, en train de discuter et déconner avec les camarades, en train de fumer une clope. Le bogoss a l’air tout à fait naturel, comme si rien ne s’était passé hier après-midi.
    Alors que moi, je suis tout chamboulé. J’ai l’impression d’avoir le dessin de ses abdos imprimé sur le front, comme si on pouvait lire sur ma peau ce qui s’est passé la veille. J’ai l’impression d’avoir l’air d’un mec qui s’est fait divinement dépuceler.
    Un t-shirt noir col rond, parfaitement coupé, nouveau coton fin sculptant le relief de ses pectoraux et dessinant avec une précision redoutable la forme en V de son torse de rugbyman. Un short camouflage, des chaussures de couleur rouge intense, tout comme sa casquette, rouge et estampillée du logo Ferrari : un cheval cabré, certainement un étalon, presque une métaphore de cette puissance sexuelle avec laquelle il m’a retourné, au sens propre comme au sens figuré, lors de notre première « révision ».
    Bref, voilà sa tenue, un ensemble comme toujours très simple mais tellement masculin, redoutablement sexy.
    Mon regard prend un plaisir intense à se balader entre sa chaînette posée sur le coton noir, le petit grain de beauté dans le cou juste au-dessus de la ligne du col du t-shirt, et le tatouage dessiné juste en dessous de la manchette gauche, gravé sur cette peau mate que je sais désormais être d’une douceur incroyable.
    Brun, jeune, musclé, débordant de virilité, un sourire ravageur, Jérémie est vraiment trop bandant.
    Le fait est que tout en lui – sa plastique de fou, sa bonne petite gueule, ses attitudes de mec, sa réputation de tombeur de nanas – appelle violemment au sexe. Plus qu’un appel, c’est un cri insupportable. Définitivement, ce mec est né pour faire l’amour.
    Au fil des années, j’ai fini par lui donner un surnom, dans ma tête : « Mr Sexe ». Et maintenant que j’ai goûté à la puissance sexuelle de « Mr Sexe », je n’ai qu’une envie, de me mettre à genoux devant lui et de le sucer.
    Je le regarde serrer des mains, faire des bises à ses potes, déconner avec. Je le regarde, assumant parfaitement ce corps de fou, sa petite gueule à faire jouir d’urgence, cette canonitude hors normes, se faufilant le plus naturellement du monde dans l’épais faisceau des fils invisibles que sont les désirs violents qu’il inspire. Je suis fasciné par sa façon d’évoluer avec nonchalance à travers la jungle dense de regards qui se posent sur lui à chacun de ses pas, qui essaient de le retenir, d’attirer son attention. Je suis interloqué par sa façon d’être à la fois sensible (car il sait bien à quel point il plaît) et imperméable à ces regards (car il sait très bien faire semblant de les ignorer).
    Je n’arrive pas à comprendre comment son attitude arrive à exprimer à la fois autant de conscience de son charme hors normes, le sentiment assez exceptionnel d’être constamment le plus beau mec à l’horizon, et autant d’aisance et de naturel à l’assumer.
    Je sais parfaitement ce que ça fait d’être considéré comme le mec qui ne « compte pas », le camarade qu’on ne calcule pas, le dernier à être choisi pour former une équipe de foot lors des cours de sport, celui qui a l’air tellement « pas dans le coup » qu’on ne lui propose même pas le tarpé qui circule dans une soirée, celui qui est pointé du doigt comme étant pd, tout simplement à cause de sa timidité, de son manque de passion pour les sports et toute autre activité « de mec », ou bien parce qu’il n’arrive pas à empêcher son regard de se balader là où « il ne devrait pas ».
    Mais comment un super bogoss vit-il son statut de « mégabombasse », comment vit-il sa popularité ? Comment, quand on est un tel canon de mec et qu’on en a, à l’instar de Jérém, pleine et parfaite conscience, comment vit-on cela au quotidien, au plus profond de soi-même, comment vit-on le fait de voir tant de regards et de désir se poser sur soi ?
    Ça fait quoi d’être aussi en vue que Jérémie, aussi respecté, d’être presque tout le temps nommé capitaine de l’équipe et pouvoir choisir ses coéquipiers, d’être celui qui est toujours « dans le coup », celui qui est admiré, désiré ?
    À l’époque, je me suis souvent posé ce genre de questions.
    Plus tard, j’arriverai à la conclusion que si un mec comme Jérémie peut être pleinement conscient de son charme et des désirs qu’il inspire, il n’est pas du tout certain qu’il soupçonne l’existence de ce frisson insoutenable que sa vision provoque dans certains êtres, les plus fins gourmets de la beauté masculine. Est-il conscient des remous que sa beauté provoque dans la sensibilité de ces esprits passionnés ?
    Comment pourrait-il l’être ? Comment pourrait-il, si au moins une fois dans sa vie il n’a pas ressenti ce truc déroutant, ce désir qui coupe le souffle, qui happe l’esprit tout entier, ce désir qui est d’autant plus exacerbé qu’il s’accompagne de l’insupportable certitude de l’inaccessibilité de l’autre ?
    Peut-être qu’un bogoss comme Jérém doit ressentir d’autres frissons, celui du défi qu’il se lance à chaque fois qu’il repère une « proie », puis celui de sentir cette même « proie » tomber dans les filets de son charme tout puissant, avant de la sentir soumise à ses envies et ses désirs.
    Mais se rend-il seulement compte à quel point sa simple présence est à la fois un bonheur sans limites et une brûlure cuisante ?
    Est-ce qu’il a un jour senti un truc aussi bouleversant pour quelqu’un, un truc si puissant et dévastateur que celui que j’ai ressenti dès le premier instant où je l’ai vu, un truc qui est comme une révélation ?
    Non, je ne peux pas l’imaginer. Pour un mec comme lui, c’est normal de désirer les nanas. Un mec comme lui, n’a qu’à claquer les doigts pour assouvir son désir. Ainsi, le désir ne demeure pas assez longtemps inassouvi en lui pour qu’il puisse ressentir ce que ressent un homo attiré par un hétéro canon qu’il n’aura jamais.
    « Salut » je lui lance en classe, tout en esquissant un petit sourire.
    « Salut » il me jette froidement, en passant son chemin.
    Bah, me voilà fixé. Pour la nouvelle complicité, on repassera. J’ai l’impression que notre petite galipette va plutôt amener une nouvelle froideur entre nous.
    Cinq minutes plus tard, le cours de philo démarre. Je ne peux décoller les yeux de lui, je n’arrive pas à décrocher mon regard de ce corps magnifique qui m’a donné tant de plaisir la veille.
    Et je n’arrive pas encore à croire qu’hier après-midi ce beau mâle m’a laissé accéder à sa sexualité, qu’il m’a fait ce cadeau. Ma bouche se souvient de la puissance de ses assauts, elle garde le souvenir de la vigueur de ses jets et de son goût de jeune mâle. Mes doigts, ma langue et mes fesses conservent le souvenir du contact avec sa peau, avec la raideur puissante de son manche. Et mon entrejambe vibre encore de l’écho de ses coups de reins.
    Je sens ma queue gonfler dans mon boxer rien qu’en y repensant.
    Assise à côté de lui, voilà Anaïs, sa copine du moment. Si elle savait !
    Je la regarde et je me surprends à me demander comment le bogoss lui fait l’amour. Est-ce qu’il est aussi macho avec elle qu’avec moi ? Est-ce qu’il la traite de salope ? Est-ce qu’il est aussi directif, aussi dominant ?
    Je la regarde et je l’imagine en train de le sucer, en train de s’offrir à lui, images d’horreur. Je me demande si le bogoss prend avec elle autant de plaisir qu’il semble en avoir pris avec moi. Est-ce qu’elle lui offre tout ce dont il a envie, comme je me sens prêt à le faire moi-même ? A l’évidence non, puisqu’il va voir ailleurs. Et tant mieux pour moi…
    Evidemment, le cours de philo est le cadet de mes soucis, car mille questions fusent dans ma tête et monopolisent mon attention.
    C’était quoi au juste ce qui s’est passé hier ? Rien qu’un coup sans lendemain ? Une curiosité, un « juste pour voir » ?
    Je sais que ce mec est un mec à nanas, et qu’il enchaîne les aventures. D’ailleurs, c’est bien la première fois que je lui connais une copine pendant plusieurs semaines.
    Je me demande si, au moins, j’ai été le premier mec pour lui, tout comme lui il l’a été pour moi. Je me dis qu’un mec comme lui pourrait se taper n’importe qui. Qu’en est-il des vestiaires de rugby ? Je me souviens avoir entendu que, parfois, dans les douches, il se passerait des choses entre mecs. Est-ce que Jérémie a déjà essayé le sexe entre garçons ? Il semblait bien à l’aise hier après-midi, très sûr de lui…
    En attendant, rien que le fait de le regarder assis à son banc est un pur bonheur. Négligemment appuyé au dossier de sa chaise, le buste incliné, les jambes allongées et croisées sous la table, le t-shirt tendu sur son torse parfait, la petite chaîne abandonnée sur le coton noir, ses pecs ondulant au rythme de sa respiration ample et paisible, le regard fixé vers un point indéfini : à ce moment précis, tout ce qui constitue pour moi la beauté du monde est là, sous mes yeux.
    Ce mec est une bombe ; et la petite brise qui rentre par les fenêtres ouvertes et caresse ma peau, c’est l’« étincelle ».
    Et à un moment, tout cela s’embrase. Je sens exploser en moi une excitation qui part de mes tétons, une vibration qui se propage à mon nombril, à mon ventre, à ma queue jusqu’à irradier entre mes fesses là où le souvenir du premier passage de son manche est encore très vif. Mon désir est brûlant, mon envie de lui totale, ma queue dure comme un piquet. J’ai l’impression que ma peau est en feu, que mon visage est en feu, je ressens un besoin viscéral de lui sauter dessus.
    Je suis complètement absorbé dans mes pensées, je dois avoir l’air totalement ailleurs. Lorsque la prof de philo finit par me rappeler à l’ordre, j’ai du mal à redescendre. J’entends quelques ricanements monter du fond de la classe. Je commence à transpirer à grosses gouttes. Heureusement qu’elle s’est limitée à me tirer de mes rêveries, gentiment, avec un brin d’humour. Sans relever, bien qu’elle l’ait peut-être remarqué, que je n’arrive pas à détacher les yeux du beau Jérémie qui m’accapare bien plus que son cours…
    Le problème c’est que, lorsqu’on regarde quelqu’un fixement, on finit immanquablement par attirer l’attention des gens qui nous entourent. Ce qui peut devenir très gênant, aussi bien pour le mateur que par le maté, et créer de sérieux problèmes.
    C’est même souvent l’un des obstacles les plus redoutables auxquels ont doit faire face en tant qu’homo, celui de savoir doser l’attention qu’on porte à un bogoss, sous peine en effet de nous attirer son hostilité.
    Oui, lorsqu’on regarde quelqu’un aussi fixement, on finit immanquablement par attirer son attention. C’est ainsi qu’à un moment, je finis par rencontrer son regard de b(r)aise.
    C’est inattendu, et presque violent, je suis sidéré de voir dans ses yeux, en lieu et place de son sourire charmeur, un regard bien noir qui ne signifie qu’une seule chose, à savoir, qu’il faut que j’arrête de le mater, et tout de suite !
    Putain que je suis con, je l’ai vexé. De plus, j’ai l’impression que tout le monde a remarqué mon manège. J’ai envie de disparaître plusieurs mètres sous terre. J’aurai dû me maîtriser, mais c’est plus fort que moi : je crève d’envie, d’envie de lui, d’envie de ses envies à lui.
    Pendant la pause, j’ai l’impression qu’il m’évite. Toujours pendant la pause, je le vois rouler un patin à Anaïs. Je me surprends à éprouver un sentiment violent et jamais encore ressenti avec une telle puissance viscérale : la jalousie.
    Mais ce qui me trouble encore plus, c’est le fait de reconnaître dans le regard de cette fille le même désir qui fait vibrer mon corps à la simple vue de Jérémie. Je la déteste.
    Cerise sur le gâteau, cet après-midi-là, nous avons Sport. Les exercices d’échauffement, la course, le foot, autant d’occasion de solliciter mes muscles endoloris, de me rappeler ce que j’ai vécu la veille. Autant de malaise, plus encore que d’habitude, à trimballer mon corps maladroit, à supporter les regards, les quolibets, alors que j’ai l’impression que tout le monde sait, ou devine, ce qui s’est passé hier après-midi.
    Oui, le cours de sport, autant de violences que je suis obligé de m’infliger pour éviter Jérémie, son regard, sa proximité ; alors qu’une attirance inouïe, renforcée par le lien sensuel que cette première révision a tissé entre nous, me ramène à lui sans cesse.
    Le cours de Sport est un calvaire qui trouve son apothéose dans le moment des vestiaires, surtout des vestiaires d’« après », le plus redouté. Les vestiaires, c’est le regarder se dessaper, voir son torse exhibé avec nonchalance, mater la bosse de son boxer, la proximité avec ce corps dont je connais désormais les moindres recoins, les envies, le plaisir.
    Je ne veux pas le regarder, car je suis profondément gêné par son torse dénudé. C’est con, mais j’ai l’impression que les camarades pourraient faire le rapprochement entre le dessin de ses abdos et ce même dessin, imprimé sur mon front.
    J’essaie de ne pas le regarder, mais je ne peux pas. Je le regarde disparaître dans les douches, je l’entends passer sous l’eau. Et je le vois revenir, une serviette autour de la taille, portée bien basse sur les hanches, à hauteur du pli de l’aine. Elle est tellement basse que son diabolique chemin du bonheur est totalement dévoilé, que les premiers poils de son pubis dépassent.
    Non, je ne peux pas ne pas le regarder, je suis subjugué par ce mec.
    Ma contemplation est tellement insistante, qu’à un moment nos regards finissent à nouveau par se croiser. Le sien est bien noir, et il contraint le mien à se détourner.
    J’ai attendu toute la journée un signe de sa part, en vain. A la fin des cours, je le vois partir avec sa pouffe, je le regarde disparaître dans la rue.
    Le soir, dans mon lit, pendant que je me branle pour trouver le sommeil, je me dis que je n’ai été pour lui qu’une aventure sans suite ; et que, de toute manière, j’ai tout gâché avec mon comportement, mes regards qui ont fini par l’agacer.


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